Frédérick TRISTAN
Poète, romancier, essayiste, graphiste, professeur d’iconologie paléochrétienne, Frédérick Tristan, de son vrai nom Jean-Paul Frédéric Tristan Baron, est né le 11 juin 1931 à Sedan. Contraint de reprendre, à la mort de son père, une entreprise de machines textiles, Jean-Paul Baron, qui, en 1948, a publié Orphée assassiné, plaquette de poésie sous le pseudonyme de Frédéric Tristan, plonge « avec désespoir » dans l'industrie.
Il fréquente le groupe de poètes de la revue Les Hommes sans Epaules, qui publiera son deuxième livre, L'Arbre à pain, en 1954. De cette époque, il témoignera (in revue Les Hommes sans Epaules n°3/4, 3ème série, 1998) : « La période avignonnaise des Hommes sans Epaules, demeure, en ma mémoire, une fête de l’amitié autour de Jean Breton. Le jeune homme que j’étais alors n’avait d’autre hâte que celle de fuir son milieu familial. D’où les voyages incessants, les plans sur la comète et les petites amours en chapelet. Frédérick Tristan, cet hétéronyme, est né de cette fuite qui, sous le nom de Danielle Sarréra, devait se transformer en révolte… Les lettres que j’envoyais à Jean Breton entre 1953 et 1956, montrent de quel théâtre il s’agissait. Les comparses, bien involontaires, étaient les poètes que dans ce courrier j’utilisais comme autant de personnages destinés à des aventures éditoriales imaginaires, mais c’était aussi des hétéronymes que j’avançais comme s’ils eussent été des amis réels, voire des collaborateurs… En juin 1954 sortait un recueil de proses poétiques, dont certaines dataient de 1951, sous le nom de L’Arbre à pain. Ces petits textes, si différents de ton de ceux que j’écrivais sous le nom de Sarréra, me montrèrent dès cette époque combien je n’étais pas fait pour le poème mais bien plutôt pour le discours retors de la fiction. »
Dès ses publications des années 1950, il s'invente des doubles littéraires, d'autres vies et d'autres sensibilités. Il imagine notamment une femme de lettres et poète morte relativement jeune (née en 1932, morte en 1949), Danielle Sarréra, nom sous lequel il signe plusieurs recueils ("le personnage de Danielle et ses poèmes en prose sont nés de ma révolte intérieure").
Frédérick Tristan se lie par la suite, d'amitié, avec des écrivains tels que Malcolm de Chazal, François Augiéras ou encore Gaston Criel. Croyant devoir choisir entre son avenir dans l'industrie textile, dans une continuité familiale, et sa passion pour l'écriture ("Mon temps intérieur se sépare de plus en plus de l’extériorité du monde afin d’y revenir avec un regard plus aigu, et de fouiller la surface pour tenter une percée en profondeur. D’ailleurs, je suis écrit par l’écriture. Je crois que ce n’est jamais le prétendu auteur qui s’exprime"), il se voit répondre par André Breton, à la fin des années 1950 : « Si vous devez faire une œuvre, vous la ferez quand même. » Encouragé par André Breton puis par Albert Camus et Jean Paulhan, il n'abandonne pas l'écriture et rencontre le succès en publiant Le Dieu des mouches en 1959 chez Grasset puis Naissance d'un spectre (1969).
Frédérick Tristan est envoyé régulièrement en mission professionnelle en Extrême-Orient, et plusieurs de ses écrits sont imprégnés par la tradition chinoise : Le Singe égal du ciel (1972) ou La Cendre et la foudre(1982). Pour Frédrick Tristan, écrire, c’est produire, et non pas reproduire; écrire, ce n’est pas la réalité, ni sa représentation; la fiction est une surenchère qui s’ajoute à la réalité : "Le réel tel que nous le percevons est une fiction de notre cerveau. La réalité a autant de consistance qu’un nuage gazeux. Nos sens l’ont appréhendé par commodité puis, par les ruses successives de l’intelligence, l’ont codifié par des langages. L’écrit est l’un de ces langages afin – disons-le pour rire – de solidifier ce nuage jusqu’à ce qu’il pleuve. Modestement, je suis une goutte de cette pluie."
L’imagination et la mémoire sont les deux éléments moteurs qui constituent l’esprit humain, et le font se mouvoir entre manque et désir :"L’imaginaire, lui, répond Tristan, est le refuge où mémoire et imagination constituent la culture, voire le culte spécifique d’un individu, d’un groupe, d’une nation, d’un continent. Nos écrits les plus imaginatifs contiennent énormément de mémoire. La littérature est comme la mère du vinaigre : elle n’arrête jamais de se démultiplier, il y a de plus en plus de dépôt, de plus en plus d’animal dans la bouteille. Et ce qui m’intéresse dans cette analogie, c’est de comprendre quelle est la fine fleur de cet animal bizarre qu’est la création. Comment elle peut s’engendrer elle-même. Elle s’engendre effectivement à travers notre mémoire, à travers les éléments que nous avons vécus, à travers nos dépits, à travers nos réussites, nos souhaits… et à travers aussi l’imagination, la folle du logis, la débridée. Et tout cela forme un circuit d’images. C’est ce que j’appelle aussi l’imaginaire. Car je ne crois pas écrire avec des concepts – j’en serais sans doute incapable –, mais avec des images, avec des décors, avec des personnages, avec des sensations, des émotions, etc. Mes personnages, eux, peuvent manipuler des concepts. Parce qu’évidemment, même s’ils sont très sots ou très perdus, ils se veulent intelligents. Ils peuvent raisonner. Mais moi, en tant qu’écrivain, je ne fais que les surveiller un peu, tout en leur laissant la bride sur le cou. Je les laisse bavarder et penser selon ce qu’ils sont – et que, la plupart du temps, je ne suis pas !"
En 1983, Frédérick Tristan reçoit le prix Goncourt pour Les Égarés, publié aux éditions Balland, et va désormais se consacrer à son œuvre qui défend une forme d'universalité des cultures. Il crée le groupe « Nouvelle Fiction » en 1992 et publie notamment Le Dernier des hommes (1993), L'Énigme du Vatican (1995) et Stéphanie Phanistée (1997). "L’existence est un récit, nous dit Frédérick Tristan,lorsque nous écrivons un roman, nous parcourons un autre récit. Et ces récits s’enchevêtrent, forcément, à travers l’imagination, à travers la mémoire… Tant que nous écrivons, nous n’appartenons plus tout à fait à l’ici, nous sommes dans un ailleurs, et cet ailleurs nous procure un autre ici, lequel rebondit à son tour dans un autre ailleurs… C’est tout un jeu de balle à la fois passionnant et contraignant. Comme le disait Cendrars lorsqu’on lui demandait pourquoi il écrivait : « Parce que. » Parce que l’on ne peut pas faire autrement. C’est comme respirer. Un besoin vital. Dès que j’avais cinq minutes, au lieu de batifoler à je ne sais quoi, j’écrivais. Une recherche passionnée d’être et de sens au milieu de toute cette soupe d’existences et de significations contradictoires."
En 2000, il reçoit le Grand Prix de littérature de la Société des Gens de Lettres pour l'ensemble de son œuvre, rééditée par Fayard depuis 1997.
Christophe DAUPHIN
(Revue Les Hommes sans Épaules).
À consulter : la fiche auteur de Danielle Sarréra.
Œuvres de Frédérick Tristan :
Poésie :
Orphée assassiné, Editions des Iles de Lérins, 1948
L’Arbre à pain, Les Hommes sans Epaules, 1954
Journal de Danielle Sarréra, La Différence, 1978 ; Fayard, 2003
Œuvre de Danielle Sarréra, Le Nouveau Commerce, 1976
Danielle Sarréra : derniers textes, Les Cahiers du double, 1980
L’Obsédante, Le Cherche-Midi, 1992
Tombeau d’Hélène, Alain-Lucien Benoît, 2003
Passage de l’ombre, Moulin de l’étoile, 2007
Kaléidoscope, a aphorismes, Moulin de l’étoile, 2007
Le Crayon-charade, éd. Bernard-Gabriel Lafabrie, 2008
Encres et Ecritures édition bilingue français-italien, La Finestra, 2010
Théâtre :
Dernières nouvelles de madame Berthe, Dumerchez, 1991. 3 actes. Créé à France Culture en 1989 sous le titre Chambre noire (mise en ondes Claude Mourthé)
Les Tentations de saint Antoine, Editions Jean-Jacques Sergent, 1992, livret d’opéra, musique Marian Kouzan, création à Tours, 1992 ; Kiev, 1993
Essais :
Le Monologue, Ed. La Nef de Paris, 1958
Géants et gueux de Flandre, dix siècles de mythe et d’histoire, Balland, 1978
Le Monde à l'envers, Hachette-Massin, 1980
Les Tentations de Jérôme Bosch à Salvador Dali, Balland/Massin, 1981
L'Œil d'Hermès, Arthaud, 1982
Venise, Champ Vallon, 1984
Houng, les sociétés secrètes chinoises, Balland 1987. Rééd., Fayard, 2003
Le Livre d’or du Compagnonnage, Jean-Cyrille Godefroy, 1990
Le Retournement du gant, Entretiens avec Jean-Luc Moreau, La Table ronde, 1990. Fayard, 2000
Franc Maçonnerie : les Documents fondateurs, L’Herne, 1992, reprint 2007
Les Premières Images chrétiennes : du symbole à l'icône, Fayard, 1996
Fiction, ma liberté, Editions du Rocher, 1996
L’Encyclopédie du Compagnonnage, Editions du Rocher, 2000
L'Anagramme du vide, Bayard, 2005
Le Fabuleux Bestiaire de madame Berthe, Zulma, 2005
Don Juan le révolté, Ecriture, 2009
Réfugié de nulle part, mémoires, Fayard, 2010
Une vie au péril de l'écriture, Entretiens et documents, L'esprit du temps, 2015.
Romans, récits, nouvelles :
Le Dieu des mouches, Grasset, 1959, Fayard, 2001
Tragics, Ed. San Lazzaro, 1961
Les Sept femmes de Barbe-Bleue, Ed. La Boîte noire, 1966
Naissance d'un spectre, Bourgois, 1969, Fayard, 2000
Le Singe égal du ciel, Bourgois, 1972 ; Fayard, 1994 ; Zulma, 2014.
Journal d’un autre, Bourgois, 1975
Lettre au docteur Dermeste, Ed. Lettera amorosa, 1975
Le Train immobile, Balland, 1979
La Geste serpentine, La Différence, 1978 ; Fayard, 2003.
Histoire sérieuse et drolatique de l’homme dans nom, Balland, 1980 ; UGE 10/18
Les Tribulations héroïques de Balthasar Kober, Balland, 1980 ; Fayard, 1999.
La Cendre et la Foudre, Balland, 1982, Grand Prix du roman fantastique (Avoriaz, 1983), Fayard, 2003
Les Égarés, Prix Goncourt 1983, Balland 1983, Points-Seuil 1984, Fayard, 2000
Le Fils de Babel, Balland, 1986 ; Folio Gallimard, 1988 ; Fayard, 2004
Le Théâtre de madame Berthe, Balland, 1986 ; 10/18 ; Fayard, 2004.
La Femme écarlate, Fallois, 1989, Fayard, 2008
L'Ange dans la machine, La Table Ronde, 1990, Fayard, 1999
La Chevauchée du vent, La Table Ronde, 1991, Fayard, 2002
L’Atelier des rêves perdus, L’Aube, 1991 ; Fayard, 2004
Un Monde comme ça, Seghers, 1992
Le Dernier des hommes, Robert Laffont 1993, Fayard, 2005
L'Énigme du Vatican, Fayard, 1995.
Stéphanie Phanistée, Fayard, 1997
Pique-nique chez Tiffany Warton, Fayard, 1998
L’Aube du dernier jour, Fayard, 1999 ; Livre de Poche, 2001
Les Obsèques prodigieuses d'Abraham Radjec, Fayard, 2000
La sirène de l’empereur Rodolphe, Editions du Rocher, 2000
La Proie du diable, Fayard, 2001
Dieu, l'Univers et Madame Berthe, Fayard, 2002
Les Succulentes Paroles de Maître Chù, Fayard, 2002
L'Aube du dernier jour, Fayard, 2002
Tao, le haut voyage, Fayard, 2003
Le renversement, éd. du Rocher, 2004
L'Amour pèlerin, Fayard, 2004
Un Infini singulier, journal d’une écriture (1954-2004), recueil de 1000 pages des nouvelles et des courts récits de l’auteur déjà publiés ou inédits, Fayard, 2004
Le Manège des fous, Fayard, 2005
Monsieur l'Enfant et le Cercle des bavards, Fayard, 2006
Dernières Nouvelles de l'Au-delà, Fayard, 2007
Le Chaudron chinois, Fayard, 2008
Emblèmes, Moulin de l’étoile, 2008
Christos, enquête sur l'impossible, Fayard, 2009
Tarabisco, Fayard, 2011
Brèves de rêves, recueil de deux cents très courts récits oniriques, Pierre-Guillaume de Roux, 2012.
Les Impostures du réel, Le Passeur, 2013
Le passé recomposé, Pierre-Guillaume de Roux, 2017.
Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules
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Numéro spécial LES HOMMES SANS EPAULES 1ère série, 1953-1956 n° 3 |